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Ramuntxo Garbisu - 10/06/2010 
Treize années de procédures officielles n'ont pas permis de dimensionner clairement l'étendue de la contamination radioactive de cette usine du Boucau, ni de faire taire son scandale.

fertiladour investigacion eitb foto 2

Victor Pachon, Président du CADE, effectuant des mesures de radioactivité sur le site de Fertiladour. Photo : EITB

Tout début février 1997, des membres du CADE s'introduisent dans l'usine d'engrais Fertiladour du Boucau, dans la zone portuaire de Bayonne (Pays basque nord), et procèdent à des mesures de radioactivité en plusieurs points du site, découvrant une très forte contamination de l'unité de broyage et des sols alentours.

Confrontée au battage médiatique autour de cette révélation, la société Fertiladour, appartenant au groupe Roullier basé à St Malo (et portant tour à tour les noms d'Interfertil, de Reno, d'Agriva) nie une quelconque atteinte environnementale, évoquant "de la radioactivité, certes, mais naturelle".

Interpellé par le collectif, le laboratoire indépendant de la CRIIRAD à Valence analyse un échantillon de terre et, le 19 février 1997, atteste d'une "terre très fortement contaminée", bien au delà des normes maximales autorisées, de l'ordre de 200 fois la radioactivité naturelle du sol.

"En une heure de présence, debout, la dose reçue par exposition externe dépasse la valeur de 10 µSv/an au-delà de laquelle l’exposition ne peut plus être négligée sur le plan de la radioprotection. En 100 heures on dépasse la dose maximale annuelle admissible", confirme encore aujourd'hui Bruno Chareyron, Ingénieur en physique nucléaire et responsable du Laboratoire CRIIRAD, qui eut à analyser cet échantillon.

Le 9 juin 1997, un premier arrêté préfectoral exige de l'industriel "la réalisation d'un diagnostic initial et l'évaluation simplifiée des risques de son site de Boucau d'une part et l'élaboration d'un programme de travaux d'assainissement des lieux, d'autre part".

La surveillance du site, et du dossier, est alor placée entre les mains de l'inspecteur local de la DRIRE, Michel Amiel.


En juillet 1998, une première étude confirme la forte contamination du site

Pour le compte de l'industriel, le cabinet d'ingénieurs ANTEA rend ses conclusions en juillet 1998.

Est établie une cartographie du site, qui révèle des concentrations radioactives encore supérieures à celles observées sur l'échantillon de la CRIIRAD, ainsi qu'une présence d'arsenic dans le sol, "pour lequel on note de fortes anomalies".

Le nettoyage de l'atelier de broyage est effectuée par des techniciens munis de scaphandres, une précaution rendue obligatoire par une directive ministérielle depuis 1973, mais que les salariés qui y ont travaillé n'ont jamais portés.

La délimitation de zones à décaisser est effectuée, et le rapport définit comme actions prioritaires l'installation de piézomètres  en prise avec la nappe phréatique, "pour contrôle de la qualité des eaux vis-à-vis d'éventuelles pollutions chimiques ou radioactive".

Enfin, après un sondage du sol, l'étude estime à3.750 m3le volume de terres constituant la source.


Le 20 avril 2000, un 2ème arrêté préfectoral précise les objectifs d'assainissement du site

Suite au rapport Antea et après approbation du Conseil Départemental d'Hygiène, un 2ème arrêté prescrit à l'exploitant "des mesures de résorption de la radioactivité résiduelle", et fixe les objectifs "au plus égaux aux valeurs suivantes".

Ce sera un débit de dose de 1 µSv/h à l'extérieur des bâtiments, et 0,2 µSv/h à l'intérieur, soit une réduction par 10 à atteindre de l'activité radioactive constatée in situ.

"Cet arrêté du 20 avril 2000, qui fixe 1 µSv/h à 1 m du sol, c’est beaucoup trop", commente aujourd'hui Bruno Chareyron de la CRIIRAD, "car cela représente 1,6 mSv/an, soit plus que la dose maximale annuelle admissible de 1 mSv/an, sans parler de la dose due au gaz thoron et radon".

Toutes les terres caractérisées par un débit supérieur à 2,5 µSv/h devront être décaissées, étiquettées dans des big-bags selon leur activité radioactive, pour une prise en charge par l'ANDRA (Agence Nationale des Déchets Radioactifs).

Et l'arrêté préfectoral l'exige : l'industriel communiquera à l'inspecteur de la DRIRE "le programme détaillé et la méthodologie des travaux" permettant le confinement des sols non décaissés, demandant aussi à ce que ce programme soit "préalablement validé par l'OPRI", l'Office de Protection contre les Rayonnements Ionisants.


Le 17 mai 2000, un 3ème arrêté préfectoral... ne voit pas le jour.

Dans la volonté d'instituer des "servitudes d'utilité publique" à l'industriel, est préparé le 17 mai 2000 un projet d'arrêté, soumis à validation par le Conseil Départemental d'Hygiène, constitué de représentants du Préfet, des autorités du port, des collectivités locales, de l'inspecteur de la DRIRE, et de l'association de défense de l'environnement Sepanso.

Ce projet d'arrêté ne verra jamais le jour, qui instituait des normes draconiennes à l'industriel, imposant l'avis et l'accord préalable de l'OPRI "avant tous travaux, toutes constructions ou démolitions, tous travaux d'affouillement, de fondation ou de creusement".

Et surtout, il imposait au vendeur que le futur acquéreur soit informé de l'existence de ce passé radioactif  "dans les conditions de l'article 8.1 de la loi du 19 juillet 1976 modifiée, relative aux installations classées pour la protection de l'environnement".

La logique qui a conduit à ce renoncement de servitudes d'utilité publique n'est disponible sur aucun document public accessible, mais elle a permis d'éviter l'éventuelle sanctuarisation du site, en dessaisissant l'OPRI de son rôle de protection et de gendarme.

Le dossier reste dès lors entre les seules mains de l'industriel et de l'inspecteur de la DRIRE.


En mars 2002, les objectifs d'assainissement "seraient atteints"

Les travaux d'assainissement commencent en juin 2001, avec la mise à contribution du cabinet de radioprotection nucléaire Algade, filiale à 100% du groupe Cofema (aujourd'hui Areva), et s'achèveront le 1er mars 2002.

L'inspecteur de la DRIRE fixe un objectif initial de 25m3 à décaisser, mais le 15 juin 2001, "la décision est prise de mettre un terme aux travaux, devant le volume de terres marquées à excaver et à conditionner".

En effet, à cette date, 200 mètres cubes ont déjà été extraits, et, au final, ce sont 390 big-bags, soit 250 mètres cube, qui seront excavés, 10 fois plus que l'estimation initiale, et stockés sur le site.

A l'issue de cette phase, le 25 février 2002, le cabinet Algade écrit sur son rapport : "Aucune zone ne présente un débit de sol à 1 mètre du sol supérieur à 2,5 µSv/h, ce qui permet de garantir que les objectifs de l'arrêté préfectoral sont atteints".

Létude d'une seule zone du site permet ensuite au cabinet Algade d'écrire en conclusion que "la dépose de 20 cm de caillou concassé a permis de ramener la dose radioactive de 2,3 à 0,8 µSv/h".

"Cette opération de confinement semble de nature à permettre d'atteindre les objectifs fixés", peut-on également lire dans le rapport.


Les salariés de Fertiladour sous observation radiologique, mais que pendant l'été 2001

Sur la zone, est menée la surveillance radiologique des salariés de l'usine pendant le chantier d'assainissement entre juin et juillet 2001, c'est à dire sans activité de manipulation et de broyage des terres radioactives.

Le rapport de l'Algade indique que "aucun salarié présent sur le site n'a été affecté par des doses significatives".

Pour rappel, entre 1973 et 1992, les salariés de l'usine témoignent de consignes pour aller discrètement retirer les étiquettes d'avertissement de radioactivité sur les sacs arrivant en gare de Bayonne.

Dans les ateliers de broyage, on leur fournit de simples masques de papier fournis pour y travailler, et des dosimètres dans les premiers temps, avant qu'ils ne leur soient retirés.

Chargé de l'inspection sanitaire des lieux à cette période, le technicien de la CRAMA Yves Santamaria témoignera en public en 2010 que "aucune protection différente de celles employées pour du broyage d'engrais n'a été apportée aux salariés amenés à travailler ces terres radioactives".

L'Article L. 1333-3 du Co de la Santé Publique est pourtant clair.

"La personne responsable est tenue de déclarer sans délai à l'Autorité de sûreté nucléaire et au représentant de l'Etat dans le département tout incident ou accident susceptible de porter atteinte à la santé des personnes par exposition aux rayonnements ionisants".

Dans le cas des salariés de Fertiladour, cette déclaration n'a jamais été faite, ni même exigée de l'industriel.


De 2002 à 2010, les contrôles de radioactivité par la DRIRE sont pratiqués... sans appareil de contrôle

Conformément à l'arrêté préfectoral du 20 avril 2000, l'observation de la contamination radioactive de la nappe phréatique est rendue possible dès 2002 par l'installation de 5 piézomètres.

Deux fois par an, l'inspecteur de la DRIRE reproduit la même conclusion sur la fiche réglementaire Basol.

"La campagne d'analyses des eaux souterraines montre que la situation est satisfaisante et reste stable par rapport aux dernières campagnes", peut-on y lire rapport après rapport.

Dans la réalité, Michel Amiel le confesse sans peine, il ne dispose pas de compteur Geiger ou de laboratoire lui permettant de mesurer cette radioactivité.


En octobre 2008, les big-bags partent pour une destination non vérifiable

Onze ans après les faits, en 2008, les 390 bigs-bags sont encore stockés sur le site de Fertiladour, dans l'attente de leur "prise en charge totale ou partielle par l'ANDRA", écrit l'Algade en mars 2002.

Fin octobre 2008, l'ANDRA apprend avec surprise que seuls 17 big-bags lui seront destinés au final, les autres ayant été acheminés vers un centre de stockage de déchets ultimes en région parisienne, à Villeparisis.

"Ce n'est pas une procédure habituelle", réagira l'ANDRA à cette date, "nous avons constaté que la demande faite par l'industriel et validée par l'inspecteur de la DRIRE est effectivement rendue possible par la réglementation, mais pour nous, c'est une première".

Un an plus tard, le mercredi 3 Décembre 2009, soit un an après, la DRIRE d'Ile de France instruira une "demande d'autorisation relative à l'acceptation de déchets à radioactivité naturelle renforcée".

Une requête qui interroge sur l'expédition réelle à Villeparisis de sacs de terre classifiés par l'ANDRA comme "présentant un impact important sur l'environnement".

Le 26 mars 2010, le CADE demande par courrier la communication des documents d’expédition, de transport, et de réception par le site destinataire des bigs bags d'octobre 2008.

Michel Amiel leur répondra, le 14 avril 2010, qu'il "n'envisage pas de fournir des documents partiels concernant cette affaire, hors de leur contexte global".


En mars 2009, une nouvelle cartographie contredit les conclusions de 2002

Le 16 avril 2009, le CADE dévoile à la presse une cartographie du site effectuée en mars 2009, également en possession de l'industriel et de l'inspecteur de la DRIRE.

On y découvre de nouveaux foyers de contamination radioactive supérieur à 2,5 µsv/h, contredisant l'assertion du cabinet Alga de de 2002, tandis que la zone dépassant le plafond toléré de radiations représente désormais une bonne partie de l'aile nord de l'exploitation.

Les travaux de recouvrement par du gravier des zones connues apparaissent également à un niveau largement supérieur aux normes de santé.

C'est cette semaine-là que l'industriel effectue des travaux spectaculaires sur le site.

De nombreux engins de chantier retournent la terre de Fertiladour, répartissent notamment les zones contaminées vers des zones plus neutres, puis recouvrent l'ensemble des terrains de 30 cm de scories.


En avril 2009, la DRIRE n'a "pas de commentaires" sur le retournement des terres contaminées

Contactée par eitb à cette période, la DRIRE d'Anglet déclare ne pas être au courant, ces affouillements ayant été effectués pendant la semaine de vacances de l'inspecteur Michel Amiel.

A son retour, Michel Amiel explique également au CADE qu'il n'était pas au courant de cette initiative, et qu'il n'était pas sur le site de fait pour surveiller ces travaux.

Contacté par eitb, l'OPRI explique également ne pas avoir été saisi d'une quelconque demande, "au vu des images, nous aurions pu logiquement l'être", confiera un de ses inspecteurs.

Face au silence maintenu de l'inspecteur d'Anglet, un mail d'eitb envoyé à la DRIRE de Pau indiquera "pas de commentaires" comme unique réponse.

Le 29 mars 2010, l'inspecteur de la DRIRE le consignera pourtant sur le cahier des charges officiel préparé par ses soins et transmis à la Région Aquitaine.

"L'opération de confinement a été réalisée en avril 2009 et a consisté à mettre en place des matériaux neutres radiologiquement", peut-on y lire.

 

Extrait vidéo des travaux de "confinement" en avril 2009 des terres de Fertiladour



Extrait du documentaire "Dans le Port, on nous dit que tout est bon", réalisé par Yallah Yallah Productions (téléchargement librement sur le site dédié de Yallah Yallah Tv).

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